Le Conseil d’Etat a récemment publié son avis très attendu sur la modification des prix ou des tarifs dans les contrats de la commande publique.
Saisi le 14 juin 2022 par le ministre en charge de l’économie d’une demande d’avis relative aux possibilités de modifier les prix et les tarifs des marchés publics et des contrats de concession, dans le contexte actuel de l’augmentation des prix, en particulier ceux des matières premières, le Conseil d’Etat a rendu son avis le 15 septembre 2022 1 .
La modification « sèche » des prix, sans modification des prestations
Le Conseil d’Etat admet la possibilité pour les parties à un contrat public d’augmenter le prix forfaitaire, les prix unitaires, voire modifier la clause de révision des prix, sans modification des prestations, en cas de circonstances imprévues 2 . Cette dernière est notamment caractérisée lorsque la hausse des prix de certaines matières premières excède ce que les parties pouvaient raisonnablement envisager los de la conclusion du marché. La modification du marché est justifiée lorsque la clause de révision des prix ne permet pas de compenser en totalité la hausse des prix.
Le Conseil d’Etat remet ainsi en cause la position de la DAJ de Bercy selon laquelle le principe d’intangibilité des prix s’opposait à ce que le prix d’un contrat de la commande publique soit modifié sans modification du périmètre des prestations exécutées par le titulaire ou, plus généralement, des conditions d’exécution du contrat 3 .
Le montant de la modification ne peut être supérieur à 50 % du montant du marché initial, augmenté en application de la clause de révision de prix 4 .
Si le Conseil d’Etat évoque également les modifications de prix de faible montant 5 , il considère que ces modifications ne peuvent avoir pour effet de compenser la part d’aggravation des charges qui n’excède pas celle que les parties avaient prévu ou auraient dû raisonnablement prévoir. Les modifications de faible montant ne semblent ainsi pas constituer un fondement juridique distinct des circonstances imprévues, permettant une modification sèche des prix du contrat.
Une modification des prix du contrat par avenant ne constitue pas une obligation pour l’acheteur public, ni un droit pour le titulaire du marché. Elle requiert l’accord des deux parties au contrat.
En l’absence d’accord des deux parties pour modifier le contrat, le titulaire du marché a toutefois le droit de percevoir une indemnité d’imprévision.
L’indemnité d’imprévision
Lorsque survient un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat, le cocontractant, qui en poursuit l’exécution, a droit à une indemnité d’imprévision 6 .
L’équilibre du marché peut être regardé comme bouleversé lorsque l’augmentation des charges d’exploitation atteint 15 à 20 % du montant du marché. Dans une fiche technique publiée à la suite de l’avis du Conseil d’Etat, la DAJ de Bercy considère que le bouleversement de l’économie du contrat s’apprécie par période d’imprévision, plutôt que sur l’ensemble de la durée d’exécution du contrat 7 . Cette solution, qui ne ressort pas de l’avis du Conseil d’Etat, reste selon nous à confirmer par la jurisprudence.
L’indemnité d’imprévision vise à couvrir un déficit d’exploitation provoqué par une augmentation temporaire des charges d’exploitation du titulaire. Elle n’a pas pour objet d’indemniser un gain manqué qui résulterait d’une réduction ou d’une disparition de la marge bénéficiaire du titulaire en raison de l’augmentation de ses coûts.
En fonction des circonstances, le juge pourrait imposer au titulaire de supporter une partie du déficit d’exploitation (de l’ordre de 5 % à 25 % 8 ) compte tenu du niveau de risque susceptible d’avoir été accepté par le titulaire et des profits qu’il a réalisés en exécution du contrat en dehors de la situation d’imprévision.
Le seuil à partir duquel le bouleversement de l’économie du contrat est acquis, comme la part du déficit d’exploitation laissé à la charge du titulaire, devraient être appréciés moins favorablement pour le titulaire d’un contrat de concession qui assume un risque d’exploitation, que pour celui d’un marché public qui n’assume pas le même risque.
L’indemnité d’imprévision est une indemnité extracontractuelle qui ne donne pas lieu à une modification du contrat. Cette indemnité est un droit pour le cocontractant lorsque les conditions sont réunies. En cas de refus de la personne publique de verser une telle indemnité, le titulaire est fondé à saisir le juge du contrat aux fins d’en obtenir le versement.
Le versement d’une indemnité d’imprévision peut être cumulé avec une modification du prix du marché 9 . Ces deux mécanismes contribuent, séparément ou ensemble, à rétablir l’équilibre économique du contrat afin d’assurer son exécution jusqu’à son terme dans les meilleurs conditions.
1 Avis n°405540 du 15 septembre 2022 relatif aux possibilités de modification du prix et des tarifs des contrats de la commande publique et aux conditions d’application de la théorie de l’imprévision, publié sur le site internet du ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique à l’adresse suivante :
https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/conseil_acheteurs/fiche-techniques/execution-marches/avisCE-numero405540.pdf?v=1663844107.2 Articles R. 2194-5 et R. 3135-5 du code de la commande publique (CCP).
3 Position récemment réaffirmée dans la circulaire du Premier ministre n°6838/SG du 30 mars 2022 relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières.
4 Article R. 2194-3 du CCP. Un même marché peut faire l’objet d’autant de modifications d’un montant maximal, chacune, de 50 % du montant du contrat initial qu’il y a d’évènements imprévisibles distincts dont l’augmentation des coûts est la conséquence directe (CE, avis, 15 septembre 2022, précité).
5 La modification est de faible montant lorsqu’elle est Inférieure aux seuils européens et à 10 % du montant du marché initial pour les marchés de service, de fourniture et les contrats de concession ou 15 % du montant du marché initial pour les marchés de travaux (articles R. 2194-8 du CCP et R. 3135-8 du CCP).
6 Article L. 6 du CCP codifiant une jurisprudence ancienne du Conseil d’Etat (CE, 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, n°59928).
7 Fiche technique, Possibilités offertes par le droit de la commande publique de modifier les conditions financières et la durée des contrats de la commande publique pour faire face à des circonstances imprévisibles et articulation avec l’indemnité d’imprévision, 21 septembre 2022, publiée sur le site du ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique à l’adresse suivante : https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/conseil_acheteurs/fiches-techniques/crisesanitaire/FT_modification_contrats_en_cours.pdf?v=1663844107.
8 Circulaire n°6374/SG du 29 septembre 2022 relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières et abrogeant la circulaire n°6338/SG du 30 mars 2022.
9 CE, avis, 15 septembre 2022, précité.